La confiance, le bouclier contre les biais cognitifs

Après 10 années passées à faire de la recherche UX, je crois que le maître-mot pour moi pour lever un maximum de biais cognitifs pendant des entretiens c’est la confiance !
J’en ai pris véritablement conscience à l’occasion d’un Live sur l’Emotional Design auquel j’ai été invitée et dont la thématique était : l’IA et l’affective computing révolutionnent-ils l’UX ? Organisé par Odaptos, start-up Montpelliéraine qui a conçu un outil pour :
- optimiser le temps des UX Designers et Researcher dans leur analyse des données issues de la recherche en systémisant les tâches à faible valeur ajoutée comme l’extraction des vidéos, et la retranscription écrite
- aider l’analyse des émotions grâce à un algorithme qui associe vidéo (analyse des expressions du visage et bientôt du mouvement des mains) et son (analyse du ton de la voix et du champ lexical employé)
À l’occasion de ce live, plusieurs participants nous ont interrogé sur la fiabilité des résultats de recherche du fait même de la méthode. Normal, d’autant qu’en introduction nous avions abordé la question des biais cognitifs.
Alors, évidemment un biais est créé lorsque :
- on interview quelqu’un ;
- on le filme et l’enregistre ;
- on lui dit qu’il va y avoir une analyse de ses émotions ;
- on l’informe que ce qu’il va dire va être présenté à des tiers.
Toutefois, si vous vous y prenez bien et que vous menez correctement votre entretien en suivant ces 4 conseils, alors vous devriez vite lui faire oublier tout ça !
Comment ?
En utilisant l’outil le plus puissant de l’UX Research : la confiance ! Suivez-moi, je vous explique comment l’utiliser.
Règle #1 : Être confiant
Pour que quelqu’un soit en confiance, il faut déjà que vous soyez vous même en confiance. C’est vous qui menez l’entretien, vous devez tout de suite vous positionner comme un guide et pour ça, vous devez expliquer à votre interlocuteur où vous êtes, pourquoi vous êtes là et où vous allez l’emmener.
Voilà ce qu’il faut dire en introduction pour balayer ces différents points :
- Dites-lui votre prénom, on oublie le nom de famille, ça met de la distance et c’est une information supplémentaire à retenir, hors, vous allez lui en donner beaucoup !
- Dites-lui quel est votre poste, en oubliant les termes techniques du type « UX Designer », « UX Researcher » qui ne parlent à personne d’autre qu’aux gens du métier ! On va préférer dire en quoi consiste notre métier en restant le plus didactique possible.
- Dites lui combien de temps va durer l’entretien, que ça peut être plus ou moins long. Précisez bien que si c’est plus court, cela ne veut pas dire que la qualité sera moindre, comme ça, si votre interlocuteur voit que vous finissez avant l’heure, il ne se dira pas que ce qu’il vous a dit n’était pas intéressant.
- Rassurer sur le fait que ce n’est pas la personne qui est jugée mais bien le produit. Chez Kirk, on adore cette phrase : « Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse », pour peu que vous tombiez sur un fan d’Asterix et d’Édouard Bergeon.
Pendant cette courte introduction, vous devez montrer votre expertise pour que la personne en face sente qu’elle est entre de bonnes mains et que vous maîtrisez votre sujet. Encore une fois, si vous êtes bien dans votre position d’intervieweur.euse, vous augmentez les chances que votre interlocuteur.ice se sente également bien dans sa position d’interviewé.e.
Si vous interrogez une personne en donnant l’impression que vous faites ça pour autre chose que pour recueillir des données pour optimiser le produit de votre client, alors vous ne serez pas à votre place et dans ce cas, votre participant ne pourra pas trouver la sienne.
Règle #2 : Être aligné
Il y a une technique qu’il est très important de mettre en place lorsque l’on mène des entretiens, c’est le « mirroring ». Vous la retrouvez notamment dans l’hypnose et le mentalisme.
Alors, en UX Research, on ne cherche pas à hypnotiser notre interlocuteur, donc il n’est pas nécessaire de pousser cette technique à fond, en revanche, elle s’avère très utile dans l’instauration de la confiance.
En quelques mots, le mirroring consiste à adopter, de façon plus ou moins consciente en fonction de son profil les caractéristiques suivantes de la personne avec qui vous échangez :
- Son intonation de voix ;
- Ses attitudes ;
- Ses expressions ;
- Ses gestes.
En faisant cela, vous vous synchronisez avec votre participant et comme il se reconnaît en vous, toujours de façon inconsciente, il sera plus à même de se dévoiler.
De façon concrète, qu’est-ce-que cela donne ?
Cas de figure 1 : La personne que vous interrogez est plutôt réservée avec une voix douce, et vous êtes plutôt extraverti.e et vous parlez fort.
👉 Baissez le niveau sonore de votre voix
👉 Parlez plus lentement
👉 Utilisez un stylo pour garder vos mains en dehors de l’écran et pour ne pas les bouger dans tous les sens
Cas de figure 2 : La personne que vous interrogez est plutôt extravertie et parle fort, et vous êtes plutôt réservé.e avec une voix douce.
👉 Montez le son !
👉 Soyez plus expressif
👉 Observez les gestes de votre participant et, sans le singer non plus, adoptez certaines de ces attitudes
Vous le comprenez maintenant, il faut beaucoup d’empathie pour faire de la recherche et s’il vous est souvent arrivé d’entendre des phrases du type :
Mais pourquoi je vous confie tout ça ?! On est sur la même longueur d’onde, c’est fou ça
C’est sans doute que vous faites du mirroring de façon inconsciente ! Si vous voulez creuser le sujet, je vais vous confier un précieux conseil que m’avait donné un hypnotiseur, Antonin Delaporte, il y a quelques années : filmez-vous en entretien et observez si c’est la personne qui se synchronise à vous ou l’inverse ! Il y a de grandes chances pour que la réponse soit « c’est vous qui vous adaptez à elle ».
Règle #3 : Être motivant
Vous et votre client vous posez des questions sur ce qui, pour leurs utilisateurs, est leur quotidien, donc très certainement une routine.
Le.la participant.e peut alors avoir l’impression de dire des choses sans grand intérêt et ne pas avoir l’impression qu’il développe. L’inviter à aller plus loin en commençant par des phrases comme celles ci-dessous, peut aider votre interlocuteur à sentir qu’il vous apporte quelque chose et à être plus prolixe :
- C’est très intéressant ce que vous venez de dire, même si ça peut vous sembler anodin, vous pourriez développer ?
- Je comprends très bien ce que vous voulez dire, c’est très clair !
- Ah mais oui, ce sont des choses auxquelles on ne pense pas et qui peuvent faire la différence quand on conçoit un produit !
- Parfait, c’est exactement de ce type d’informations dont on a besoin pour optimiser le produit.
Expliquer pourquoi l’information est intéressante permet de conserver la confiance avec votre interlocuteur, il sentira que vous ne dites pas ça juste pour être poli.
Attention toutefois, certaines informations sont effectivement sans intérêt, et ce n’est pas grave, mais il ne s’agirait pas d’inciter votre interlocuteur à y consacrer plus de temps. Dans ce cas, raccrochez-vous à quelque chose qui a été dit en amont ou bien, proposez-lui de développer sur un point qui a été soulevé dans un autre entretien et pour lequel vous souhaiteriez avoir son point de vue.
Règle #4 : Commencer avec des questions simples
Si vous attaquez tout de suite par des questions sur l’impression, le ressenti, vous avez de grands risques de bloquer votre interlocuteur car ces questions vont être perçues comme intimes, et oui, même quand on parle de logiciel SaaS de finance !
Il est donc essentiel de débuter votre entretien, après votre introduction, par poser des questions très simples auxquelles il ou elle va pouvoir répondre sans problème sur lui/elle. Vous permettrez ainsi à votre interlocteur.ice de se mettre dans le jeu de ping pong auquel vous allez jouer pendant tout votre entretien c’est à dire question / réponse.
Voici une liste de questions simples à poser en préambule :
- Pouvez vous me rappeler votre poste Martine ?
- Vous occupez ce poste depuis combien d’années ?
- Et au sein de votre entreprise, cela fait combien de temps ?
Ces questions auront déjà été posées afin de valider que le.la participant.e répond bien aux critères de recrutement, mais en lui posant à nouveau ces questions, vous mettez en place la mécanique et pouvez ensuite rapidement enchaîner sur le vif du sujet : l’utilisation du produit !
Évidemment, comme toute discipline, c’est à force d’entraînement que vous finirez par ne plus avoir à réfléchir à ces règles et qu’elles deviendront des réflexes. Et une fois que vous serez suffisamment à l’aise, j’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi quand vous découvrirez toutes les vérités que les utilisateurs de vos clients vous confieront !
Vous pouvez aussi compter sur l’affective computing et à l’IA pour vous aider ! Et, si vraiment vous n’arrivez pas à trouver la bonne attitude, sachez que Kirk propose des formations où l’entraînement est au centre de la formation, alors plus d’excuse pour se lancer (en plus, cette formation peut être prise en charge par votre Opco !)